2096 Elle se trouvait face au berceau. De dos, Oritel la trouvait si belle. Rien n’égalait le calme d’une mère auprès de son enfant endormi. Un sourire se dessina sur les lèvres du souverain de Domino. Il se remémorait cette jeune femme de dix-neuf ans qu’il avait conduit devant l’autel, en 2094. Elle était pleine de caractère et de principes qu’il ne comprenait qu’à moitié. Il reprochait à ses parents de lui avoir refourguer une telle épouse, surtout qu'il ne s'était pas remis de la perte de sa première femme. Elle non plus, ne semblait pas si réjouie par cette union. Néanmoins, contrairement à lui, elle avait toujours eu une sen aiguë du devoir et du sacrifice. Si quelque chose lui résistait -, une incantation, une formule, un noble de la cour, - elle faisait des pieds et des mains pour enfin arriver à ses fins.  Aujourd’hui, l’énergique Marion était devenue la mère de ses enfants et il la respectait pour cela.
La jeune mère tourna la tête. Non, se corrigeait-il : il l’aimait.
A son sourire, elle en répondit un encore plus resplendissant.
« Approche-toi » murmura-t-elle. Il lui obéit. Comment ne pas se laisser guider par cette mère aux gestes assurés ? Une fois à ses côtés, elle lui prit la main. « Deimos. » dit-elle. Il se tourna vers elle, interrogateur, puis il comprit. « Elle sera aussi forte que sa mère. » finit-il par dire. Elle rit doucement. « Et aussi sage que son père. » plaisanta-t-elle à moitié. En à peine deux années de mariage, ils avaient donné naissance à deux enfants et avait muri rapidement comme couple souverain. L’héritage de Domino était désormais doublement assuré et leurs caractères domptés, ils étaient devenus des roi et reine exemplaires. Un immense sentiment d’accomplissement envahissait Marion. En réalité, elle ne plaisantait pas. Oritel était devenu plus sage qu’elle-même.

2097  « As-tu envoyé l’émissaire à Magix City » hurla-t-elle, hors d’elle. En à peine quelques années, Oritel était devenu plus calme que son épouse. Daphné accourut vers sa mère. L’enfant marchait encore en claudiquant. Telle une mère louve, elle attrapa sa fille.

Les Sorcières Ancestrales voulaient s’emparer de Domino et de la Flamme. La puissance qu’elles accumuleraient avec un tel pouvoir en leur possession serait incommensurable. « Comment peuvent-ils ne pas réagir ?! Eux-mêmes ne pourront plus jamais les contenir si elles y arrivent. Ils préfèrent que nous épuisions nos ressources, nos guerriers et… que nous mourrions pour empêcher cela ? » Elle serra d’autant plus fort son aînée. « Ne t’en fais pas maman. » dit l’enfant du haut de ses trois ans. « Les Nymphes ont dit que j’étais comme elle, je vais protéger Dei’. » Marion hochait la tête incessamment comme pour refuser cette réalité. Pouvait-elle seulement s’effacer ? Tout ce qu'elle avait fait. La Compagnie de La Lumière, tous ces efforts pour devenir une puissante thaumaturge, étaient vains ?

Massacre, lumière, flammes. Daphné s’était sacrifiée avec une magie instable pour protéger sa sœur. Encore bambin, cette petite thaumaturge était bel et bien l’incarnation d’une Nymphe, comme lui avait dit les Huit autres lorsque Marion eut terminé son accouchement. Elle ne comprenait pas comment elle s’était retrouvée épargnée par les débris du palais. Instinct primaire de survie, elle courrait pour atteindre un point de sortie de ce massacre. « Oritel ! » criait-elle. « Deimos ! » Les larmes striaient son visage. « Daphnée » termina-t-elle d’une voix écorchée. La reine s’écroula sur un tas de marbre détruit et éparpillé sur le sol. Un silence. Un immense et angoissant silence que seul le crépitement des brasiers rompait.
Un cri d’enfant réveilla la reine brisée de sa transe. Elle revint à elle-même. Peut-être un minime espoir de retrouver une de ses filles. Le prénom qui lui venait en tête était celui de Deimos. Il arrivait sur ses lèvres sans même être prononcé.
La vision était horrifique. La mère écrasée par les pierres avait réussi, par ce geste désespéré, à protéger son enfant. Marion plaqua sa main devant sa bouche, bouleversée. Elle se vit dans ce cadavre. Mais non, elle avait été sur le champ de bataille et n'avait pensé à rentrer au Palais récupérer ses enfants que trop tard ; lorsqu’elle s’était rendue compte que leur cause était perdue. Maintenant, ils n’étaient plus. Elle s’empara du bébé et le serra tout contre sa poitrine. « Ssh, chut. Là. Là. Ne t'en fais pas. » Elle posa sa tête contre l’enfant, comme si elle avait été sa propre mère. Ses paupières closes s’ouvrirent d’un seul coup. « Le phénix renaît toujours de ses cendres. »



2118 « L’armée de Magix a empêché la réincarnation du Phénix ? » confirma Alyssa.
Les partisans du Cercle Noir n’osait pas répondre à la question rhétorique de leur leader. Il craignait sa réaction. Elle posa son verre en cristal sans même adresser un regard à ses sous-fifres apeurés. « Beatrix. » dit-elle d’une voix s’apparentant au murmure. Sa fille adoptive s’approcha. Elle était la plus confiante parmi le petit groupe de mages noirs qui s’étaient rassemblés après la triste nouvelle de leur défaite. Alyssa approcha son visage de l’oreille de sa nouvelle fille, celle qui ne savait rien non plus de son identité passée. « Trouve-moi trois responsables pour l’exemple. » chuchota-t-elle d’une voix à peine audible. « Tu as deux jours. Peu importe qui ils sont. » Beatrix fit un signe de tête et se retira.
Alyssa poussa un long soupir.
« Bien, bien, bien. » finit-elle par lâcher. La froide et distante rousse tourna son regard piquant vers la petite assemblée.
« Il semble que nous n’avions pas visé assez haut. » Elle se mit à rire. Un immense malaise envahit la pièce. D’un seul coup, elle jeta le verre qui se trouvait sur la table vers ce groupe de gens en noir. Son expression changea du tout au tout. La colère était désormais lisible sur ses traits.
« C’est pour cela que je réprimande tous ceux qui font des actions isolées ! Elles ne peuvent marcher contre L’Enclave. » gronda-t-elle.
Elle regarda ses partisans qui ne savaient décidément plus où se mettre. Le visage d’Alyssa se détendit et prit un air froid et inexpressif.
« Désormais, dès que je verrais l’un d’entre vous agir de son côté, sans prendre le Cercle Noir comme un tout, je l’assassinerais sur le champ. L’organisation doit primer pour éviter que des défaites comme celle que nous venons de subir se reproduisent. Nous devons être organisé. Non. Plus qu’organisé. Ne rien laisser au hasard. Il faut penser ce projet comme un tout et non comme une bataille. Il convient désormais de penser que Lord Darkar ne pourra revenir parmi nous qu’à cette condition. »
Elle laissa un blanc.
« Je ne tolèrerais plus aucune défaite. »