Il y a un silence de mort depuis qu’il a coupé le moteur de son véhicule, et il lui suffit d’observer comme les rares passants évitent l’entrée de la ruelle avec de grands arcs de cercle pour être certain qu’il est au bon endroit. Clope au bec, adossé au mur en pierre qui ne demande qu’un geste trop brusque pour s’effondrer, Andras laisse Nyx lui dresser une nouvelle fois le portrait de la cible « à abattre ». Connor Keynes, un gamin du quartier, qui a eu le malheur de se faire chopper par les ennemis jurés des Voodoo Boys.
« A en croire l’échange intercepté par ton ami netrunner, les Animals ont trouvé de bon goût de tester leurs nouveaux cyberwares sur ce pauvre jeune homme. Même en sachant qu’ils se détestent, je suis surprise de voir avec quelle cruauté ils l’ont abandonné à son propre sort. »
Les informations se recoupent clairement dans son esprit, l’IA affichant photos et documents dans sa tête comme s’il les avait devant les yeux. Face au profil du môme qui n’a rien demandé à personne, un claquement de langue lui échappe en même temps que la fumée quitte ses poumons.
« Tu devrais pourtant savoir de quoi sont capables ces types. Le tuer n’aurait rien apporté, pas dans une provocation de ce genre. Ce qu'ils veulent, c'est montrer qu'ils sont présents ici, sur leur territoire. Au mieux, le môme décime sa propre famille; au pire, il se fait descendre et les Désoss' récupèrent ce qui fonctionne encore. Ils se foutent du résultat. »
Il se redresse, écrase le reste de sa cigarette sous son talon, et s’étire avant de vérifier encore que son arme est prête. Comme d’habitude, les réglages sont faits pour viser les membres plus que la tête ou le cœur, mais il a comme l’impression que ça ne changera pas l’issue. Pas alors qu’il s’attaque à cette affaire accompagné.

Il passe la tête dans la ruelle, tentant d’attraper le moindre bruit qui viendrait du fond. Rien. Le carnage récent n’est reconnaissable qu’à l’odeur de fer qui lui parvient comme si elle tapissait chaque brique sur son chemin. Le timing de l’agent de la MAX-TAC est impeccable, l’homme se laissant apercevoir à l’instant même où le détective jette un œil à sa montre. Pas de discussion vaine, pas d’accueil chaleureux, ils n’ont pas le temps pour ça. Le gang local pourrait arriver d’une minute à l’autre malgré leur faible présence dans le coin, et il vaut mieux qu’aucun d’eux ne soit présent au moment où ils découvriront ce qui s’est passé.
« Un môme de Pacifica, cobaye des Animals. Ils l’ont blindé de matos cybernétique et l’ont abandonné sans médocs ni accompagnement. Il a purement et simplement pété un plomb, ce qui était sûrement l'objectif. Connaissant l’amour du gang pour le corps à corps, on ferait mieux de ne pas s’approcher de trop près. » Le bruit aigu de l’arme qui se charge et de la sécurité qui se désenclenche s’entend sans la moindre difficulté. « Avec le bon traitement et le bon suivi, il devrait pouvoir s'en remettre. »
Son ton et ses mots sont lourds de sens, mais quelque part, il sait que c’est inutile, que le destin du gamin a été scellé à l’instant même où il a demandé à Nyx de composer le numéro de Darko, mais ça ne l’empêche pas d’essayer. Dans d’autres cas, il aurait pu faire ça seul, faire ça à sa manière, et s’assurer que le cyberpsycho survive - et dans ce cas précis, retourne auprès des siens -, mais là, il sait qu’un jeune adulte en pleine psychose avec du matériel de combat, noyé dans un cocktail d'hormones maison visant à améliorer les capacités physiques, est un danger qu’il n’est pas certain de pouvoir gérer seul, pas quand celui-ci a déjà abattu tous ceux dont il a croisé le chemin. Là, il ne peut qu’espérer que pour une fois, ses mots atteignent le plus jeune des deux; que pour une fois, il prenne le temps de se poser les bonnes questions; que pour une fois, il accepte de faire ce qui est juste, pas ce que son règlement attend de lui. Quelque part, Andras doit être un peu fou lui-même, à espérer obtenir un résultat différent face au mur de béton qu’est Darko Black dans son travail.

« Je capte un bruit, il semble qu’il y ait du mouvement. Vous feriez bien de vous dépêcher, messieurs. »
« Entendu, Nyx, » puis à son compagnon, « il faut qu’on bouge. »
Andras fait rapidement signe à l’autre brun de se mettre en position, puis lui laisse les rênes. Il faudrait être stupide pour ne pas admettre que des deux, celui qui sait le mieux ce qu’il fait dans ce genre de cas, c’est Darko. Question de formation.